Le chef d’établissement est celui qui travaille avec tout le monde (les personnels, les élèves et les parents), celui qui sait tourner la page après un accroc, un désaccord ou un conflit, celui qui refuse d’exercer son petit pouvoir pour régler ses comptes, celui qui, finalement, incarne l’exigence de fraternité qui doit irriguer l’École de la République.
Quand on est professeur, CPE, conseiller d’orientation, professeur des écoles ou simple parent d’élèves, on mesure mal l’étendue des responsabilités du chef d’établissement. En fait, le chef d’établissement est responsable de tout : des enseignements, de l’orientation, du climat scolaire, de la restauration, de l’entretien des bâtiments, de la sécurité des personnes, de l’élaboration et l’exécution du budget, de la gestion des ressources humaines, de la protection des données (RGPD), de la communication et des relations avec les partenaires du territoire.
Travail invisible
Sa charge de travail est importante. Personne ne voit le chef d’établissement sur son lieu de travail accueillir les entreprises pendant les vacances, intervenir après le déclenchement d’une alarme en pleine nuit (1), participer aux différentes réunions de chantier. Personne ne l’observe faire une déposition au commissariat après un cambriolage, personne ne le voit scénariser une prise d’otages avec des gendarmes d’élite qui réaliseront un exercice pendant les petites vacances avec tirs de balles à blanc. Personne ne le voit sortir tard de son bureau après plusieurs coups de fil, après avoir reçu des parents ou boucler des dossiers en tout genre : évaluation dans le cadre du PPCR, diagnostics, enquêtes du ministère, montage d’un projet culturel, rédaction d’un article pour l’ENT, infographies, offre d’emploi à rédiger en urgence pour recruter un contractuel, etc. Une partie du travail du chef d’établissement est invisible et se déroule en dehors de la présence des professeurs et des élèves. Les journées de travail ne se ressemblent jamais, mais elles ont en commun de s’étirer du début de la matinée à la fin de l’après-midi, et d’accaparer plusieurs soirées dans l’année (conseil d’administration, conseils de classe, réunions …)
Malgré la richesse de notre ouvrage Les écrits professionnels du chef d'établissement (71 documents !), on ne peut pas comprendre le métier sans aller plus loin. La priorité, et les rapports du jury le rappellent chaque année, c’est de réaliser plusieurs entretiens avec des chefs d’établissement différents. La seconde, selon moi, c’est de lire les chefs d’établissement. Nous sommes désormais plus nombreux à témoigner de notre métier et de notre engagement professionnel. Certains se donnent le beau rôle, d’autres racontent avec sincérité les épreuves du métier, ceux-là sont en fin de carrière ou à la retraite. Prendre la parole dans l’espace public, c’est s’exposer au jugement de tous et de la hiérarchie qui apprécie modérément « les électrons libres ».
Un beau métier
Disons-le, nous avons collectivement la chance de faire un beau métier. Un métier reconnu par la population, un métier qui a du sens, qui permet de transformer des établissements et de faire avancer des collectifs, de réaliser de beaux projets, de partager la joie des élèves et des personnels, de recevoir les remerciements des collègues — en toute discrétion souvent — et de partir, parfois, d’un établissement sous les applaudissements.
Mais la première satisfaction, c’est celui du sentiment du travail accompli, de voir ses collègues heureux et se réaliser dans leurs fonctions, de sentir leur enthousiasme, leur envie d’entreprendre pour les élèves ou l’établissement. Et c’est bien là le cœur du métier : permettre aux autres de faire, d’innover et d’oser.
Avant de passer le concours, il faut donc prendre la mesure de l’engagement nécessaire pour obtenir des résultats dans la durée. Outre une grosse capacité personnelle de travail, la fonction exige deux qualités essentielles : du courage, savoir dire les choses et gérer les situations de crise et, au quotidien, beaucoup de bienveillance et un vrai sens relationnel. Le chef d’établissement est celui qui travaille avec tout le monde (les personnels, les élèves et les parents), celui qui sait tourner la page après un accroc, un désaccord ou un conflit, celui qui refuse d’exercer son petit pouvoir pour régler ses comptes, celui qui, finalement, incarne l’exigence de fraternité qui doit irriguer l’École de la République.
Ce texte est un extrait (conclusion) de Les écrits professionnels du chef d'établissement, Jean-Marc ROBIN, Amazon, 2023.
(1) Le drame récent exige de ne pas intervenir seul et de prendre des précautions.