Nous aborderons ici le point de vue des acteurs en essayant de décrire leurs attentes. Si l’Éducation nationale scrute la performance scolaire et la qualité du pilotage pédagogique, les élèves sont attentifs aux conditions d’apprentissage, à l’ambiance entre pairs et aux relations avec les adultes. Les personnels s’attachent à leurs conditions d’exercice et à la reconnaissance de leur travail ; enfin les parents s’intéressent à la prise en charge globale de leurs enfants.
L’administration de l’éducation nationale
Pour l’inspection ou le rectorat, un bon collège c’est d’abord un collège qui obtient de bons résultats scolaires, ceux-ci sont mesurés à l’aide de plusieurs indicateurs.
Sur le plan quantitatif, l’Administration dispose, pour l’essentiel, de deux outils : le taux de réussite brut au brevet, complété par le nombre de mentions, et l’écart entre les résultats réels et les résultats attendus aux épreuves écrites. On peut aussi s’intéresser au taux de « fuite » des élèves : de bons résultats au DNB[1] peuvent être obtenus par une préorientation en classe de quatrième vers une classe prépa-métier en lycée professionnel. Désormais, les indicateurs de performance des collèges font l’objet d’une diffusion sur le site du ministère ; la presse et grand public y ont accès.
Sur le plan qualitatif, cela se complique, car l’évaluation de l’établissement peut concerner aussi bien le pilotage de l’établissement par la Direction, le dynamisme pédagogique des équipes enseignantes, le cadre de vie (sécurité des bâtiments et des personnes) ou le climat relationnel entre les usagers (élèves et parents) et les professionnels.
Dans un système de quasi-marché, l’image de l’établissement auprès des usagers compte, l’assouplissement de la carte scolaire a renforcé cette tendance. Comme le note l’Inspection générale : « Au cours des vingt dernières années, les EPLE ont pris conscience qu’ils ne disposent pas - ou - plus forcément d’un public captif garanti en quelque sorte par les contraintes de la carte scolaire »[2].
Pour résumer, le collège idéal fait réussir ses élèves, affiche un véritable dynamisme pédagogique et communicationnel, c’est encore un établissement où les conflits sont régulés en interne par la Direction. Avec l’intensification de la concurrence entre le privé et le public, les inspecteurs départementaux (DASEN) regardent aussi à la loupe la part de marché des établissements, l’objectif est clair : maintenir ou développer les effectifs du secteur public.
Les professeurs
Un bon établissement n’est pas nécessairement celui qui maximise son taux de réussite, car l’existence d’une culture élitiste est susceptible de générer son lot « d’exclus de l’intérieur », c’est-à-dire de professeurs stigmatisés pour leur sous-performance. Dans les établissements « élitistes », les enseignants sont soumis à une pression plus forte, la Direction cherche à consolider la réputation de l’établissement, le principal devient le relais des exigences des parents des couches moyennes et supérieures (Gombert, 2008).
Aux yeux des professeurs, un bon collège doit avoir de bons résultats, mais aussi offrir un espace de travail qui ne surajoute donc pas à l’exigence de reconstruire chaque heure les conditions pour enseigner. Les enseignants sont attentifs à leurs conditions d’exercice, une bonne ambiance conjugue convivialité, liberté pédagogique, confiance des familles et culture du travail et de l’effort chez les élèves. Un tel cadre est propice à l’accomplissement professionnel et à l’innovation. Si la Direction est d’abord évaluée par sa capacité à assurer l’ordre scolaire - « le sale boulot » que les professeurs confient volontiers à la Vie scolaire et aux personnels de direction - ils attendent encore un soutien des projets pédagogiques et une gestion humaine bienveillante, soit pour remobiliser les professeurs qui « sortent des clous », soit pour reconnaître localement les efforts fournis. Les enseignants ont besoin de reconnaissance pour s’engager dans leur travail et de protection vis-à-vis de parents, jugés unanimement plus intrusifs. La demande de protection adressée aux chefs d’établissement est plus forte, car la critique contre l’École se renforce. Les jeunes profs ou les contractuels, moins expérimentés que leurs collègues, sollicitent ou exigent davantage l’appui des personnels de direction (Robin, 2019).
Les personnels de service, techniciens et ouvriers
La fâcheuse habitude de diviser les personnels en deux catégories persiste : d’un côté les enseignants et de l’autre les non-enseignants. Les agents techniques territoriaux (ATT) ont l'impression d’être les oubliés du système éducatif, de ne pas compter dans leur établissement, de faire partie du décor, d’être mal informés des actions éducatives et pédagogiques (voyages, sorties scolaires, examens, etc.) qui vont pourtant impacter leur travail. Le sentiment de mépris institutionnel reste vivace. Dans ces conditions, « un bon collège » est un établissement où le Principal et le gestionnaire les informent régulièrement, et mettent en œuvre des actions pour promouvoir leur travail et le rendre visible aux autres membres de la communauté scolaire. Même s’il n’est pas l’employeur, le chef d’établissement est responsable de l’organisation du service. Il peut, par exemple, organiser une réunion hebdomadaire pour informer les agents et les écouter. Dans le cadre de l’annualisation du temps de travail, la Direction peut dégager du temps pour élaborer un projet de service susceptible de fédérer. Les collectivités territoriales mesurent aussi l’étendue du chantier pour accompagner les ATT en matière de santé, de formation, de conditions de travail et de reconnaissance. Le remplacement des absences ponctuelles ou des salariés, usés par l'activité manuelle, reste la priorité, car les absences impactent au quotidien le service d’hébergement et de restauration.
La Vie scolaire
Pour les équipes de Vie scolaire « un bon collège », c’est avant tout un établissement où les conseillers principaux d’éducation (CPE) et les surveillants ne sont pas enfermés dans leur mission de contrôle des absences, des mouvements d’élèves et de gestion des conflits (professeurs / élèves ou élèves / élèves Cela suppose une division du travail éducatif où professeurs et personnels de direction participent au travail de régulation et de surveillance. Dans le cas contraire, même dans les établissements peu impactés par la violence, la Vie scolaire ne pourra pas s’impliquer dans des actions d’éducation positives, comme la formation des délégués, l’éducation à l’orientation, l’animation de clubs ou la prévention (lutte contre sexisme, tabagie…). Le ou les CPE devront « se satisfaire » d’assurer une formation expéditive pour les délégués élèves de 6e et « se réjouir » de faire passer les tests de sécurité routière aux 5e et 3e. Le rôle des conseillers principaux d’éducation est surdéterminé par le climat de l’établissement et dépend de la conception de ses missions par le chef d’établissement (Cereq, 2007).
Les élèves
Pour les élèves, le collège est un lieu d’étude (Cousin, Félouzis, 2002) mais aussi de socialisation, c’est-à-dire un lieu d’apprentissage d’une identité sexuée ou d’une culture juvénile (tenues vestimentaires, maquillage, goûts musicaux, façon de parler, etc.) (Pasquier, 2005). Une bonne ambiance correspond à une vraie entente entre pairs. Les élèves attendent des enseignants qu’ils régulent le groupe classe pour éviter les clans et qu’ils ne marquent pas de différences en matière de notation ou de relation. Les enseignants ne doivent pas avoir de « chouchous ». L’aide et les punitions doivent être équitables, faute de quoi la cohésion du groupe est menacée, l’inégalité de traitement dégrade le climat de classe.
Les élèves désirent étudier dans de bonnes conditions et disposer d’espaces de liberté dans la circulation ou l’usage des locaux. Les collégiens, soumis à la pression de l’examen au fur et à mesure qu’il se rapproche, souhaitent que les professeurs pratiquent une « pédagogie explicite », que les traces écrites facilitent leurs révisions, que la notation ne se transforme pas en tri scolaire. Mais, au-delà du cadre matériel, c’est surtout vis-à-vis du cadre psychoaffectif que les attentes sont fortes : la demande de respect, d’écoute et, parfois, d’affection est récurrente, c’est un quasi préalable à un engagement dans le travail. Les mots des adolescents sont durs pour dénoncer « les profs qui n’aiment pas les élèves », qui les méprisent (Dubet, 1991). Les collégiens revendiquent le droit à l’erreur et le droit de ne pas tout comprendre.
Vivant une période de fragilité liée au détachement de l’emprise parentale, commençant à comprendre qu’ils devront construire leur réussite, les adolescents désirent être accompagnés de façon bienveillante. L’autorité que donnent le statut et le savoir doit être mobilisée par les professionnels de l’éducation pour les « faire grandir » et non de façon narcissique pour montrer que les adultes sont « supérieurs » aux élèves. Toutes les situations qui rappellent les inégalités de statut sont dénoncées : le passage prioritaire à la cantine, le pouvoir de juger sans être jugé lors des conseils de classe voire, pour certains, le fait de ne pas être payés pour travailler ! Un bon collège pour les élèves c’est donc un établissement où les adultes prennent en compte les jeunes dans leur questionnement, dans leurs difficultés d’apprentissage ou de devenir des adultes. Cette exigence appelle à mieux cibler, au moment du recrutement, les qualités relationnelles chez les candidats aux concours, ce qui n’implique pas de diminuer les exigences académiques.
Les parents
Les parents ont des attentes précises vis-à-vis du collège. La sécurité reste au premier rang de leur priorité avec la qualité des enseignements. La demande d’accompagnement individuel concerne les apprentissages[1], l’orientation ou la prise en charge « comportementale ». Déboussolés par un langage et des attitudes qu’ils ont du mal à canaliser, de nombreux parents espèrent que les professionnels pourront « cadrer » leurs enfants. Bien des familles aimeraient déléguer cette tâche à l’École, École qui aimerait à son tour que la famille prenne en charge la socialisation pour se réserver l’instruction.
Si la demande « d’un cadre » est prégnante, les parents souhaitent surtout que l’essentiel des apprentissages scolaires soit fait dans l’École, car les devoirs sont la première source de conflit entre générations[2]. Les familles ont bien compris que le diplôme est plus qu’hier le passeport vers l’emploi qualifié. Elles attendent de l’École des résultats et contestent que l'éduction ne soit pas un travail comme un autre soumis à l’exigence de performance et de qualité (Gombert, 2008). La dramatisation de l’enjeu scolaire renforce leurs exigences.
De nouvelles attentes sont apparues ces dernières années, au premier rang le remplacement des professeurs absents – que la crise du recrutement aggrave – et une attention particulière à tout ce qui fabrique l’expérience collégienne : qualité des bâtiments et de la cour, restauration, projets éducatifs, sorties ou voyages. La réussite des élèves doit se conjuguer avec leur bien-être au quotidien.
Les familles se construisent une image de l’établissement, celle-ci synthétise des jugements sur les élèves (leur appartenance sociale et ethnique), la Direction (le fameux « charisme » du chef d’établissement), la sécurité, la qualité des locaux et la pédagogie des enseignants, évaluée à travers ce qu’en disent les enfants et l’entourage.
Compte tenu des enjeux, les établissements cherchent à influencer les représentations des parents par une politique de communication (journée portes ouvertes, site internet, articles de presse, etc.) qui cible le grand public et les leaders d’opinion : élus, chefs d’entreprise, directeurs d’école primaire, mouvement sportif ou associations de parents. Si l’image explique des flux d’inscriptions ou de retraits remarquables, on peut parler de réputation. Beaucoup d’établissements véhiculent une image contrastée sur leur territoire, car ils ne sont ni en situation d’excellence académique (mesurée par les résultats aux examens) ni en situation de relégation. La rumeur et le bouche-à-oreille restent alors la meilleure façon de s’informer, poussant les établissements scolaires à se mettre en scène sur les réseaux sociaux ou dans les médias (school branding) pour corriger une « image vieillotte ou injuste ».
Les collectivités locales
Avec la décentralisation et les responsabilités accrues données aux collectivités territoriales, il faut aussi interroger leurs attentes. La présence d’un « bon collège » participe au rayonnement et à l’attractivité d’un territoire qui peut se mesurer par le prix du m2 sur le marché foncier et par des voix sur le marché politique, les élus locaux mettant en valeur leur rôle (financement, partenariat, etc.) auprès des électeurs contribuables. En revanche, le dysfonctionnement dans la durée d’un établissement produit des effets négatifs : fuite des classes moyennes et supérieures, hausse des insécurités avec la ségrégation sociale et, au final, remise en cause de l’action des élus. Ces derniers sont alors soumis à la pression des parents qui cherchent à desserrer la carte scolaire « pour avoir plus de choix ».
Conclusion
L’École est au carrefour d’attentes plurielles des acteurs, c’est notamment aux personnels de direction de les réguler et de faire émerger un projet fédérateur. Chaque établissement est unique et les enjeux ne sont jamais les mêmes. Ainsi, un collège urbain doit « savoir pousser les murs » pour accueillir chaque année des effectifs plus nombreux quand, dans le même temps, un petit collège peut voir sa structure pédagogique vaciller et son dynamisme être menacé par la baisse démographique.
Comment traduire les demandes de familles devenues plus exigeantes sans heurter les personnels ? Comment faire évoluer les pratiques professionnelles en maintenant la cohésion ? Comment mieux accompagner des élèves au profil parfois si différent sur le plan scolaire et psychologique ? Comment concilier instruction (les programmes) et éducation (les parcours éducatifs[3]) dans l’emploi du temps des élèves et le projet d’établissement ? Comment répondre aux besoins de chaque élève de façon bienveillante ? Comment favoriser l’égalité des chances alors que les établissements (publics ou privés) peuvent scolariser des publics au profil socio-économique très varié ?
Le statu quo n’est pas possible, il faut réinventer « le collège unique » et affronter courageusement tous les chantiers ; qu’ils concernent la pédagogie, l’éducation, la gestion des ressources humaines, les partenariats, les liens avec les parents, la carte scolaire et la mixité sociale ; sans oublier l’évaluation des établissements pour qu’elle devienne robuste et s’inscrive dans une démarche de progrès du service public d’éducation[4]. Après un diagnostic approfondi, la première étape consiste à définir ce qu’on attend exactement du collège et à mettre en adéquation ses missions[5] et les moyens (humains et financiers) que la Nation lui alloue.
[1] « Les études occupaient une place très importante dans l’emploi du temps des élèves du secondaire au XIX, plus importante que les heures de classe. Ces études étaient prises en charge par des répétiteurs ou des adjoints d’enseignement. (…) Au XX siècle, on a assisté à la disparition progressive des répétiteurs ou des adjoints d’enseignement (…) Cette évolution s’achève dans les années 60 (…) C’est quand arrivent dans le secondaire des jeunes issus des classes moyennes et populaires qu’on renvoie aux familles, ou aux sociétés commerciales, ce travail essentiel d’accompagnement scolaire. Comprenne qui pourra. » (pp 15-16, Revue Pouvoir n°122, Delahaye, 2007)
[2] Le dispositif « devoirs faits » est une avancée mais reste insuffisant pour internaliser le travail scolaire, sauf à intégrer les devoirs aux séances de cours.
[3] Au collège, à côté des programmes coexistent plusieurs parcours : le parcours artistique et culturel (PEAC), le parcours citoyen, le parcours avenir (orientation) et le parcours santé.
[4] Le chantier de l’évaluation progresse. Désormais, tous les établissements doivent bénéficier d’une auto-évaluation et d’une évaluation externe tous les 5 ans.
[5] Missions qui peuvent impacter les rythmes scolaires.