Jusqu’à ces dernières années, les établissements étaient focalisés sur la réussite aux examens ; dans ce contexte, en lycée, la lutte contre le décrochage est devenue prioritaire. Au collège, à côté de la performance scolaire, c’est plutôt la problématique du bien-être des élèves qui a surgi avec les travaux fondateurs d’Eric Debarbieux sur les microviolences et le harcèlement. Aujourd’hui, une nouvelle problématique bouscule les EPLE.
Inflexions
En effet, pendant plusieurs décennies, la gestion des ressources humaines prenait peu de temps aux chefs d’établissement, le recrutement était confié aux corps d’inspection, le remplacement et la formation aux services du rectorat. L'évaluation se résumait à la notation administrative et à quelques appréciations pour les promotions des professeurs. Une première inflexion a eu lieu en 2003 avec la suppression des MI-SE et leur remplacement par des AED. Proviseurs et principaux, avec l’aide des CPE, ont dû s’improviser recruteurs et gérer les « erreurs de casting ». Le traitement social du chômage a élargi la sélection des candidats à d’autres catégories : emplois aidés ou jeunes en service civique.
La deuxième inflexion correspond à la prise en compte des besoins spécifiques des EPLE avec l'essor des stages d’initiative locale ou de bassin. Notre institution a fait le constat que les formations académiques avaient peu d’effet d’entraînement sur les pratiques professionnelles. Désormais, les EPLE sont sommés de devenir des « établissements apprenants ».
La troisième inflexion est liée à la pénurie d'enseignants et la progression du nombre de contractuels. Pour faire face à l’urgence, les personnels de direction ont dû suppléer des rectorats submergés par la vague d'embauches à réaliser. Faute d’un vivier suffisant de titulaires remplaçants (TZR), l’accent est encore mis sur le remplacement de courte durée pour maintenir la continuité du service public. Les usagers, pour leur part, se moquent de connaître le responsable : recteur ou établissement. Sur le terrain, c’est le chef d’établissement qui incarne l'Ecole !
La dernière inflexion renforçant le rôle RH des personnels de direction correspond à la question de qualité de vie au travail (QVT) et la prévention des risques psychosociaux (RPS). Jusqu’alors, l’École se croyait protégée, car les vacances – petites ou grandes - permettaient à chacun de se ressourcer, la souffrance était invisibilisée, chaque professeur devait s’adapter silencieusement. Mais, la scolarisation de générations d’élèves moins dociles, la montée en puissance du consumérisme parental, l’enrichissement du travail enseignant, la culture du résultat, la concurrence accrue entre établissements ont déstabilisé la Machine-Ecole et ses personnels. Aujourd’hui, les chefs doivent, avec les DRH de proximité, non seulement accompagner leurs collègues qui craquent, mais aussi interroger le climat relationnel de leur propre collège ou lycée. Maintenir la cohésion, ne pas surcharger les équipes, faire vivre les solidarités professionnelles, favoriser l’expression de tous, redonner du sens à l’engagement quotidien ; les personnels de direction sont confrontés à ces exigences, ils doivent endosser de nouvelles responsabilités.
EPLE du XXI
Ce tournant RH peut être vu comme un pas de plus vers le néolibéralisme, il peut aussi être perçu comme l’opportunité de reconnaître l’établissement scolaire dans la richesse de ses missions, comme une occasion de débureaucratiser le système éducatif. Le ministère semble s’engager vers une logique « bottom up » laissant plus de place aux initiatives du terrain. Faut-il encore doter les collèges et lycées d’une plus grande autonomie et lui allouer les ressources pour assurer ces prérogatives ; par exemple en mettant à leur disposition un budget dédié pour la formation interne ou en renforçant le pôle administratif et les compétences RH des acteurs. C’est ici le rôle des partenaires sociaux de négocier un nouveau statut et les moyens pour construire l’EPLE du XXI.