Puisque le ministre de l'éducation envisage de faire évoluer le collège et pourquoi pas de repenser les épreuves du brevet des collèges, nous republions un article sur cette question à la "Une".
Le syndicat majoritaire des personnels de direction (SNPDEN) milite en faveur de la suppression des épreuves finales du brevet des collèges. Derrière cette proposition se cache un débat opposant deux conceptions du collège et de l’établissement scolaire. La digitalisation conduit, par ailleurs, à repenser l’évaluation des connaissances et des compétences des collégiens.
Plusieurs « bonnes raisons »
La première bonne raison de supprimer les écrits de juin est liée à la valeur du brevet. La réussite au diplôme national du brevet (DNB)[1] est aujourd’hui purement symbolique car l’Ecole se fixe des objectifs plus élevés : 60 % des élèves doivent décrocher un diplôme de l’enseignement supérieur, 80 % accéder au baccalauréat et 100 % sortir du système scolaire avec une qualification reconnue, au moins le Certificat d’Aptitude Professionnelle. La démonétisation du brevet est renforcée par le découplage du DNB et du processus d’orientation depuis 1947 (Lelievre, 2021)[2], la réussite au DNB ne conditionne pas le passage en classe de seconde générale ou professionnelle.
La deuxième bonne raison c’est le temps d’exposition aux apprentissages. Outre le fait de mobiliser des moyens matériels et humains, l’organisation du DNB à la fin du mois de juin raccourcit l’année scolaire de deux semaines des élèves de troisième, si on inclut « la semaine de révision » (souvent organisée par les établissements) et « la semaine d’examen »[3]. Elle diminue aussi le temps scolaire des autres élèves, les enseignements sont suspendus pendant les épreuves, les collèges n’assurent ensuite qu’une fonction de garderie jusqu’à la fin officielle de l’année, une partie des professeurs étant mobilisée pour corriger les écrits.
La troisième bonne raison en faveur de la suppression des épreuves finales concerne l’évaluation du socle commun. Les élèves construisent progressivement leurs compétences et les équipes sont chargées de les évaluer de façon régulière, avec un premier point d’étape à la fin de la classe de sixième (fin du cycle 3), puis un second en fin de troisième (fin du cycle 4). Les écrits et l’oral[4] du brevet du mois de juin font en quelque sorte doublon et, on peut même considérer qu’ils détournent les professeurs d’un travail approfondi d’évaluation des compétences, car l’enjeu reste la réussite au brevet mesurée par la différence entre les notes des élèves à l’examen final et les notes attendues, une fois prise en compte la sociologie des élèves[5].
Enfin, la dernière bonne raison fait appel – pour les plus âgés d’entre nous – à notre expérience collective : les générations du collège unique de René Haby ont obtenu le brevet sans passer aucun examen et cela n’a pas nui pour autant à leur scolarité ultérieure. Cette mesure a été appliquée entre 1978 et 1986, jusqu’à l’arrivée de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l’Education nationale (Lelièvre 2021).
De nombreux acteurs de l’Ecole plaident donc pour « un choc de simplification » du brevet des collèges dans une France républicaine qui adore les examens et les concours, aime décerner des mentions, des encouragements, des compliments ou des félicitations.
« Oui mais… »
Mais, « les conservateurs » feront observer que la suppression des épreuves finales du brevet peut avoir « des effets pervers ». Lesquels ? D’abord, de démobiliser les élèves. L’examen de fin d’année donne du sens à la classe de troisième, qui est la seule « classe à enjeu » du collège, le redoublement a quasiment été supprimé et les réorientations en fin de classe de 4 ème vers les classes de troisième des lycées professionnels ou vers d’autres structures comme les maisons familiales et rurales (MFR) restent marginales. Et puis, la réussite des élèves à l’examen représente un enjeu individuel et collectif pour les enseignants, elle réveille le goût du challenge et oblige à « boucler », d’une manière ou d’une autre, les programmes.
Le deuxième argument c’est que le brevet est une répétition, une forme de socialisation à une culture de l’examen, un rite de passage qui en prépare un autre beaucoup plus sérieux : le baccalauréat. L’écrasante majorité des élèves se prend en effet au jeu et se fixe, avec leurs parents, des objectifs en termes de notes ou de mention. L’obtention du DNB - consacrée par une cérémonie républicaine des diplômes depuis plusieurs années - fait incontestablement sens pour les élèves et consacre le passage chez les grands : les lycéens ou les apprentis.
Troisième argument : l’égalité. En effet, les écarts de performance scolaire sont parfois importants entre les collèges bourgeois de centre-ville et les autres établissements des zones urbaines et rurales. Une mention décrochée dans un petit collège rural équivaut symboliquement à une mention décrochée dans un gros collège d’une métropole régionale. La dimension nationale de l’examen et la correction anonyme des copies renforcent un sentiment d’égale dignité. Les épreuves du DNB participent à la mythologie de l’égalité des chances.
Quatrième argument : les épreuves du brevet sont le seul moment dans l’année scolaire où les correcteurs d’un même établissement ne corrigent pas leurs élèves. La correction commune des écrits dans les centres d’examen peut être stimulante. Elle peut faire apparaître que les autres candidats ont été mieux préparés, c’est alors une invitation pour les enseignants à revisiter leurs cours, à approfondir certains points du programme ou à s’inspirer des pratiques et des échanges entre pairs. Tous les correcteurs du brevet ou du bac le savent : corriger les élèves des autres est toujours une mise à l’épreuve de son enseignement, parfois pour s’en satisfaire, parfois - dans le secret des consciences professionnelles - pour se dire à soi-même qu’il va falloir « corriger le tir » à la rentrée.
Enfin, l’évaluation des collèges par l’institution repose essentiellement sur les écarts de performance aux écrits du brevet. Si les épreuves finales disparaissent, les corps d’inspection (directeurs académiques et IPR) seront moins outillés pour évaluer les établissements et les résultats des équipes enseignantes. Les notes aux épreuves finales du DNB favorisent davantage une exploitation statistique et le benchmarking, qu’une analyse comparée basée sur la validation des compétences du socle commun.
« Petit lycée » ou « collège du socle » ?
Les arguments sont solides des deux côtés du plateau de la balance, difficile de trancher dira-t-on.
En fait, deux conceptions du collège s’affrontent en arrière-plan : une conception « classique » qui fait des connaissances le cœur des apprentissages, autrement dit du collège « un petit lycée » et une conception « moderne » qui considère que le collège doit transmettre une culture commune mais aussi d’autres « savoirs », lesquels ne se mesurent par forcément par une note et une épreuve nationale, par exemple la curiosité, la créativité, l’engagement personnel, le contrôle de soi ou les qualités relationnelles, ce que les anglosaxons nomment « les soft skills » (compétences douces).[6] La refondation du collège autour d’un socle « de connaissances, de compétences et de culture » impliquait, comme l’envisageait le Conseil supérieur des programmes en 2013, la suppression de l’examen (Lelièvre, 2021).
Mais le débat autour de la fonction du collège en redouble un autre plus vif encore opposant deux visions de l’établissement scolaire. D’un côté on trouve les partisans d’une autonomie pédagogique accrue des EPLE[7] et de l’autre les défenseurs d’un cadre national contraignant. Les promoteurs d’une autonomie renforcée ne militent pas pour l’expansion « d’un marché scolaire » comme le caricaturent trop souvent les pourfendeurs du « néolibéralisme en éducation »[8] mais pour l’émergence d’une véritable « régulation intermédiaire », avec un nouveau rôle donné aux territoires éducatifs et aux réseaux d’établissements qui doit accompagner une montée en expertise des acteurs : professeurs, chefs d’établissements ou corps d’inspection. Ce chemin c’est celui d’une Ecole-réseau, d’une école réticulaire, moins bureaucratique, moins centralisée, moins clivée qui fait confiance aux acteurs de terrain pour progresser. Pour l’emprunter, il suppose un peu optimisme sur l’avenir de Ecole de la République et un peu de confiance dans notre capacité collective, quelle que soit notre place, à travailler ensemble.
Le débat sur la suppression des épreuves finales au brevet n’est donc pas « technique » ou « anecdotique », c’est un débat politique qui opposent deux visions de l’Ecole. Quel que soit le point de vue que l’on défend, il y a toutefois une urgence : mieux former les professeurs à l’évaluation, développer les échanges de pratiques inter-établissements et irriguer le travail d’évaluation, qui est au cœur de la professionnalité enseignante, par la connaissance des travaux universitaires et des chercheurs.
Pour conclure
La recherche internationale indique que les systèmes éducatifs efficaces conjuguent autonomie pédagogique et standards nationaux, d’une certaine façon cela donne raison aux partisans de l’examen final comme aux partisans d’une autonomie renforcée des établissements scolaires sur le plan pédagogique. Comment faire tenir les deux ? Une piste intéressante serait d’associer à la maitrise du socle commun, qui relève de l’expertise collective des professeurs, une évaluation certificative exigeante[9]. Cette inflexion est en cours depuis 2008 avec la nécessité pour les élèves de justifier d’un niveau A2 en langue vivante ou du brevet internet et informatique (B2i)[10] (Lelièvre, 2021). L’exemple de PIX, plateforme publique d’évaluation des compétences numériques, montre l’intérêt d’hybrider l’évaluation. En développant de nouvelles plateformes pour le français ou les mathématiques, l’Education nationale couperait l’herbe sous les pieds du marché qui multiplie les offres pour l’orthographe (certificat Voltaire ou Le Robert[11]) ou l’anglais (TOEFL, Cambridge cerficate, …). Puisque l’hybridation et la digitalisation de l’évaluation sont en marche, c’est l’occasion d’engager une réflexion collective autour de la validation du brevet des collèges avec comme objectif de mettre fin « à une histoire assez tourmentée ». (Lelièvre, 2021).
[1] Le brevet a souvent changé de nom : 1947 « BEPC » (brevet d’étude du premier cycle du second degré), 1981 : « brevet des collèges », enfin en 1988 « DNB » avec 3 séries : collège, technologique et professionnelle (Lelièvre, 2021)
[2] L’Ecole d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire, Odile Jacob, « Pauvre brevet ! » pages 279-280.
[3] Les épreuves se déroulent sur deux jours : français (3h), mathématiques (2h), histoire-géographie et éducation morale et civique (2h) et sciences (1h) deux disciplines sont tirées au sort parmi les SVT, la physique-chimie et technologie.
[4] L’oral est organisé en interne, les élèves choisissent leur sujet parmi les parcours proposés au collège : parcours artistique, parcours avenir (orientation), parcours citoyen ou, plus rarement, parcours santé.
[5] L’écart entre les notes attendues et les notes réelles permet de calculer la « valeur ajoutée » de l’établissement, c’est-à-dire sa capacité à bien faire réussir les élèves. La proportion de mentions fait aussi partie de la mesure de la performance d’un collège, avec le taux d’orientation en seconde générale et technologique et le suivi de cohortes qui mesure la capacité d’un établissement à « garder » ses élèves et à les faire réussir.
[6] Ici, les détracteurs du « néolibéralisme » voient dans « les compétences douces » ou « non cognitives » un outil du « capitalisme cognitif » pour normaliser les individus et « dociliser la future main d’œuvre » des entreprises. Les autres considèrent que porter une attention aux compétences personnelles, relationnelles ou psychosociales, c’est apprendre aux élèves à mieux vivre ensemble, dans le prolongement des valeurs de l’Ecole. Disons, pour faire simple, que « les instructionnistes » s’opposent aux « pédagogues » qui ont une vision plus riche « du travail éducatif » et du rôle du collège.
[7] EPLE : établissement public local d’enseignement. Les EPLE disposent d’une autonomie administrative, juridique, financière et, encore très corsetée, sur le plan pédagogique et éducatif.
[8] Parmi lesquels des chercheurs comme Christian Laval ou des syndicats comme le SNES-FSU ou SUD.
[9] Ce chemin est déjà engagé avec la multiplication des outils de positionnement (tests en 6 ème et 2nde), évaluation de la maîtrise des langues vivantes (Evalangue)
[10] Les élèves de troisième doivent aussi réussir l’attestation de sécurité routière (ASSR) et obtenir l’attestation de formation aux premiers secours (PSC1).
[11] La certification Le Robert coûte 110 euros !