Peu de chefs écrivent sur leur métier et leur expérience à la tête d’un établissement scolaire, ceux qui le font prennent souvent soin de lisser le réel, d’aborder de façon oblique les questions qui fâchent, celles relatives aux professeurs, aux organisations syndicales ou à la hiérarchie, directeurs académiques ou recteurs. Les chefs préfèrent mettre en lumière leurs compétences professionnelles plutôt que leurs difficultés à manager une communauté professionnelle. Ce n’est pas l'angle choisi par Christophe Barrand qui a décidé de partager avec ses lecteurs la complexité de la fonction et de revenir, avec humilité, sur son pilotage comme proviseur de lycée professionnel puis de lycée général et technologique.
Christophe Barrand n’était pas programmé pour devenir le proviseur du lycée Turgot de Paris, lycée très prisé des « bobios », il a débuté comme chauffagiste, puis il a repris des études pour devenir instituteur, conseiller principal d’éducation et, enfin, personnel de direction. A chacune des étapes correspond une leçon de vie. Jeune instituteur remplaçant il juge sévèrement l’accueil qui lui est réservé par un collègue qui le reçoit les pieds sur le bureau, un fumiste pense-t-il, en réalité un pédagogue infatigable, nourri de pédagogie Freinet qui bosse 60 heures par semaine ! Proviseur d’un lycée professionnel, il convoque un professeur régulièrement en retard et décide de baisser sa note administrative, la violence se déchaîne, le chef d’établissement demande une sanction, le professeur est suspendu et affecté dans un autre établissement : « Le souvenir de ce prof qui renversa mon bureau me poursuit toujours, dix-sept ans plus tard. Je me dis que j’avais réagi comme me le demandait mon administration, mais que j’aurais pu régler cela autrement. Aujourd’hui, je chercherais d’abord à discuter, à comprendre l’origine de ces retards, à apprécier la fatigue de cet enseignant. J’avais eu administrativement raison mais humainement tort ».
Le mythe du chef d’établissement infaillible s’effondre, Christophe Barrand ose raconter le type d’erreur de jugement que nous avons tous fait et qui nous a permis de grandir, de faire de nous avec un peu plus d’expérience de « meilleurs » chefs d’établissement. Comme pour les profs, chef d’établissement, c’est un métier, et cela s’apprend !
Bien sûr, « M. Le Proviseur » ne fait pas que le récit de ses erreurs, il raconte aussi avec beaucoup de talent comment se construit un projet fédérateur dans un lycée, comment il a pesé de tout son poids pour faire bouger les lignes et les représentations collectives, comment il a œuvré avec les équipes pour que la mixité sociale devienne un levier de transformation de son établissement, comment il a dû parfois s’imposer auprès des parents d’élèves ou d’une technostructure qui a peur des « vagues ». Le récit est riche, le ton est caustique, l’humour revigorant. On ne s’ennuie jamais !
De tous les ouvrages publiés ces dernières années, c’est de loin le plus intéressant car le plus complet, le plus riche sur le plan humain ; sans doute à l’image de son auteur qui est resté, comme la couverture le laisse penser, un outsider, un « élève à part » chez les chefs.
Monsieur Le Proviseur, Christophe Barrand (avec Guillemette Faure), Grasset, 2020