La communication n’a pas bonne presse dans le monde enseignant, pourtant les attentes des membres de la communauté scolaire sont nombreuses. Les situations de crise, comme l’épidémie du COVID, ont accru la pression sur les EPLE, et en particulier sur le chef d’établissement, premier pédagogue mais aussi premier responsable de la communication de et dans son collège ou lycée. Nous avons identifié six bonnes raisons d’engager une politique de communication ambitieuse.
« C’est commercial ! C’est du marketing ! On n’est pas une entreprise ! » Voilà les réflexions que pourront entendre les personnels de direction s’ils expliquent aux professeurs qu’il faut s’engager dans une politique de communication active. Pourtant, les mêmes enseignants seront les premiers à critiquer le manque de transparence des décisions, à dénoncer les parents « absents » qui ne s’intéressent pas ou trop peu à l’Ecole, à souffrir que leur travail ne soit pas suffisamment reconnu, à crier à l’injustice si la réputation de leur établissement ne colle pas à l’image qu’ils s’en font ou à critiquer sévèrement le manque d’initiative de la Direction si la baisse des effectifs menace les postes.
Dans un établissement scolaire la communication prend plusieurs formes : elle est d’abord essentiellement informelle et s’inscrit dans les milliers d’interactions quotidiennes entre les différents membres de la communauté éducative, elle est aussi institutionnelle et se déroule dans le cadre des instances dont les modalités de fonctionnement sont réglées par le code de l’éducation (conseil d’administration, conseil pédagogique, conseil de classe,…) ; enfin la communication s’exprime à travers les outils ou les temps dédiés : ENT, sms, panneau d’affichage, carnet de correspondance, courriers de la direction, notes de service, rencontres parents-professeurs, journée portes ouvertes, etc.
Nous définirons ici la communication comme l’ensemble des ressources mobilisées de façon rationnelle et programmée pour améliorer l’échange d’informations et atteindre des objectifs stratégiques. Autrement dit la communication s’appuie sur une politique qui suppose d’avoir défini des objectifs, des cibles et des moyens. Elle est impulsée – et c’est un point important – par la Direction car elle est un levier d’une politique d’établissement. On distingue traditionnellement la communication interne destinée aux personnels et la communication externe qui s’adresse aux usagers ou aux partenaires.
Rendre plus lisible l’Ecole (1)
Parmi les « bonnes raisons » pour engager l’établissement scolaire dans une politique de communication ambitieuse, la première est de nature pédagogique. L’école change et les réformes se succèdent, elles concernent aussi bien les programmes, les diplômes, les modes d’évaluation ou l’accompagnement des élèves. Les parents – y compris leurs représentants – ont bien du mal à suivre les transformations en cours et à en comprendre le sens. L’Institution, au niveau national, essaie de répondre à ce besoin et produit de plus en plus de supports (plaquettes, pages et sites dédiés, …) ; la nomination de Luc Chatel a marqué un tournant dans la communication numérique, le ministère n’a pas hésité à investir Facebook, Twitter ou les plateformes comme Netvibes ou Dailymotion pour expliquer les réformes et promouvoir l’action du ministre. Avec Jean-Michel Blanquer le message vidéo diffusé par le biais de la messagerie professionnelle ou par les réseaux sociaux pour le grand public devient régulier, la crise sanitaire a contribué à démultiplier les interventions du ministre de l’éducation. Toutefois, les usagers ont encore du mal à s’approprier les changements car la communication de proximité des établissements publics locaux reste surtout administrative (modalités d’inscription, offre de formation, calendrier scolaire). Les EPLE font rarement le relais vers les ressources du ministère et ne se donnent pas vraiment comme objectif stratégique de faire la pédagogie de l’Ecole.
Resserrer les liens avec les parents (2)
Le suivi par les parents de la scolarité de leurs enfants est enjeu fort pour les établissements : d’abord parce que l’implication des familles est source de mobilisation scolaire, ensuite parce que l’orientation des élèves ou la prévention du décrochage suppose des acteurs qui se parlent et échangent régulièrement. Les espaces numériques de travail (ENT) offrent aujourd’hui non seulement la possibilité d’accéder aux notes, aux cahiers de texte ou aux emplois du temps mais aussi de tenir informés les parents de la vie de l’établissement : réunions, conseils de classes, actions éducatives, etc. Les EPLE ne restent pas à l’écart de la « e-administration », de plus de plus de démarches (orientation, inscriptions, bourses, …) sont réalisées à distance et une majorité d’usagers plébiscite ces nouveaux services.
La circulaire « Information des parents » du 31 juillet 2012 précise d’ailleurs tous les éléments à porter à la connaissance des familles : dispositifs d’aide pédagogique, possibilité de mettre en place un projet d’accueil individualisé, numéro d’appel gratuit pour lutter contre le harcèlement, numéro azur d’aide handicap école, coordonnées du médiateur académique, etc. Le texte répertorie six domaines dans lesquels les établissements doivent produire de l’information : présentation de l’établissement, règles du vivre ensemble, actions conduites par le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), organisation des temps (scolaire, pause méridienne, …).
Bien sûr, la communication numérique ne remplace pas les entretiens individuels ni les rencontres parents-professeurs. Les établissements scolaires doivent d’ailleurs veiller aux modalités d’organisation : convoquer les parents devant un véritable jury composé de plusieurs professeurs pour remettre le bulletin trimestriel ne facilite pas les échanges, pas plus que les soirées interminables où les parents passent l’essentiel de leur temps, debout, devant la porte à attendre leur tour ! A contrario, en collège, l’organisation d’une matinée portes ouvertes un samedi matin sera un signal fort en direction des familles, les usagers apprécieront d’avoir la possibilité de rencontrer les équipes et de découvrir les locaux. Ce premier contact peut, par la suite, permettre de nouer des relations confiantes avec les parents, qui en retour seront plus enclins à répondre présents lorsqu’ils seront sollicités (élections, réunions, rendez-vous) et à s’impliquer dans la vie de l’établissement. Recevoir régulièrement les parents d’élèves, se rendre disponibles après 17h, adopter une posture d’égal à égal contribue à resserrer les liens avec les familles. Le choix des mots compte : on ne convoque pas les parents, on les invite !
Promouvoir le travail des équipes (3)
Dans le premier degré, les familles ont des contacts réguliers avec les professeurs des écoles, les parents sont souvent reçus dans les salles de classe où ils peuvent apprécier les productions des élèves. La fréquence des interactions et la disponibilité des « maîtres d’école » est source de satisfaction. Au collège, les liens se distendent : le professeur est remplacé par une équipe pédagogique et éducative, les occasions de rencontre sont rares. Parallèlement, parce qu’ils veulent apprendre l’autonomie à leurs enfants, les parents consultent moins les cahiers et contrôlent moins les devoirs. Les discussions dans le cercle familial se focalisent sur les personnes et moins sur les contenus, les adolescents aiment faire le récit des petits travers, des qualités ou des défauts supposés de leurs professeurs. Au lycée, les parents se focalisent sur les résultats au baccalauréat et le profil sociologique des élèves scolarisés dans l’établissement de leur enfant, c’est d’abord sur ce socle que se construit une réputation, « le charisme » de son responsable ne pèse pas lourd !
Cette distance avec les équipes et avec les savoirs enseignés nourrit les soupçons sur la qualité de l’enseignement et l’engagement des professionnels. La liberté pédagogique et le service des enseignants (15h ou 18h) confortent chez les parents le sentiment que l’Ecole s’organise autour de la défense des intérêts corporatistes des professeurs. La méconnaissance de leur travail rend les professeurs amers et peut expliquer parfois les tensions avec les familles.
Aujourd’hui, les outils de communication permettent de mieux informer les usagers. A titre d’exemple, les ENT offrent la possibilité de publier de courts articles présentant les projets pédagogiques et les actions éducatives. De nombreux enseignants créent des ressources numériques ou animent des sites, l’ENT peut les référencer et les mettre en valeur. Les EPLE (1) peuvent encore publier une lettre d’information (Newsletter) ou inviter les parents à consulter régulièrement le site du collège ou du lycée par l’envoi ciblé de courriels.
En zone rurale ou semi-urbaine, les correspondants des quotidiens régionaux apprécient de rendre compte des activités conduites par les établissements scolaires car ils ont à cœur de valoriser un territoire et sont à la recherche de contenus. Le communiqué de presse est un outil précieux, les pigistes ont peu de temps et sont chichement payés, ils apprécient qu’on leur « mâche » le travail en leur proposant un texte qu’ils pourront recopier ou amender. Les retours positifs des parents sont susceptibles d’enrôler les équipes dans une stratégie de communication externe. Si les professeurs sont d’abord attachés à leur discipline, ils désirent aussi défendre l’image de leur établissement, cette forme de « patriotisme » est une formidable source de mobilisation collective et d’investissement professionnel.
Développer la cohésion interne (4)
Le métier d’enseignant isole ; le travail en équipe, même s’il est fortement encouragé, est laissé au libre arbitre de chacun. Pour y remédier, les EPLE doivent tout particulièrement soigner l’accueil des personnels (Etienne, Amiel, 1999) car c’est à cette condition que les professeurs nouveaux dans l’établissement pourront s’intégrer au travail collectif et abandonner leur position d’observation (Robin, 2013). L’organisation des journées de pré-rentrée est capitale, dans les grands lycées les enseignants font parfois la connaissance de leurs collègues des autres disciplines lors des premiers conseils de classe, début décembre ! La bureaucratie et la division du travail ne facilitent pas les échanges, les personnels de direction doivent essayer de créer un cadre plus favorable, cela suppose un projet d’établissement mobilisateur, de soutenir les initiatives mais surtout de savoir créer des réseaux. Le chef d’établissement doit avoir identifié les personnes ressources et les acteurs prêts à s’investir pour les mettre en relation (net working). En valorisant les résultats du travail collectif par une communication régulière, la direction encourage les personnels à maintenir leur engagement et les nouveaux à s’y associer.
Les autres catégories de personnel ne doivent pas se sentir exclues. Les agents et les équipes de vie scolaire peuvent vite avoir le sentiment d’être invisibles. Pour y remédier des réunions régulières avec les agents ou les assistants d’éducation (AED) peuvent être programmées pour écouter et informer, une autre piste consiste à inviter les CPE ou les gestionnaires à construire un projet de service qui pourra faire l’objet d’une large publicité en interne (en conseil d’administration) et auprès des usagers. C’est en rendant visible le travail de tous que la Direction contribue au renforcement de la cohésion et à réduire la fracture entre les enseignants et les non enseignants.
La multiplication des interactions au quotidien est aussi une exigence, la communication écrite et numérique ne remplace pas les relations humaines, les personnels apprécient le « management baladeur » à condition qu’il ne soit pas interprété comme une forme de contrôle. Tous les manuels de management l’indiquent : le développement des solidarités passe par la convivialité, les personnels de direction ne doivent pas y faire obstacle mais l’encourager. La cohésion est un ingrédient important pour construire un dialogue de qualité.
Inscrire l’établissement dans son environnement (5)
Avec la décentralisation, les liens avec les collectivités locales deviennent essentiels, c’est souvent la première démarche des chefs d’établissements nouvellement nommés de prendre contact auprès des élus pour se présenter et débuter un dialogue qui permettra de faire avancer les dossiers, qu’ils concernent les bâtiments, les équipements pédagogiques ou les projets des équipes. Les élus sont très sensibles aux liens interpersonnels et ils accompagnent souvent de façon bienveillante les demandes car un établissement scolaire participe au rayonnement d’un territoire (Robin, 2008).
Aujourd’hui, les personnels de direction cherchent à renforcer les liens avec les milieux économiques. Pour les lycées professionnels c’est un enjeu crucial car les élèves sont conduits à faire de nombreux stages, une bonne image et une communication volontariste auprès des entreprises faciliteront les démarches des élèves, de plus la collecte de la taxe d’apprentissage est déjà un enjeu en soi. Les lycées technologiques disposant de classes de BTS essaient de développer des partenariats avec des entreprises dotées « d’une marque employeur », cela permet de donner du sens au travail pédagogique et renforce l’attractivité des formations auprès des élèves et des familles. Les collèges sont moins impliqués mais l’existence d’une SEGPA ou la mise en place du Parcours avenir (éducation à l’orientation) les incite à développer leurs liens avec le monde économique : visites d’entreprises, sollicitations de professionnels pour un forum des métiers, partenariats sous forme de projets pédagogiques pilotés par les professeurs de technologie, etc.
Les relations avec le tissu associatif sont plus « naturelles », les établissements sont souvent sollicités par les associations. L’éducation à la citoyenneté et les parcours d'éducation artistique ou culturelle (PEAC) encouragent les initiatives. Ici, l’établissement scolaire est dans une relation symétrique car si les associations sont une « une ressource » pour les équipes éducatives ou pédagogiques, l’établissement l’est tout autant pour ses partenaires. La communication devient un jeu à « somme positive », tous les acteurs y ont intérêt et cherchent à valoriser les projets réalisés auprès des médias et des financeurs, en prenant parfois des initiatives… sans prévenir le chef d’établissement. L’enjeu est souvent de co-construire la stratégie de communication externe pour en conserver la maîtrise.
Surmonter les crises (6)
La vie d’un établissement scolaire est rarement un long fleuve tranquille, les EPLE peuvent être soumis aux phénomènes de violence mais aussi à d’autres situations de crise : mouvement lycéen, épidémie, accident technologique (AZF), incendie, intempéries, etc. Les personnels de direction doivent anticiper et savoir définir une stratégie. Le site de l’établissement sera le premier vecteur d’informations car « internet étant l’outil flexible par excellence, l’exigence de réactivité à son égard est très élevée » (Libaert, 2005). La crise sanitaire du COVID a d’ailleurs obligé les directions d’établissement à investir davantage la communication numérique : ENT, réseaux sociaux, blogs, réunions régulières en visioconférence avec les professeurs ou les représentants des parents, quelques-uns ont même réalisé des capsules vidéos pour expliquer comment le protocole sanitaire sera décliné à l’échelon local ou ont ciblé les élèves pour renforcer la cohésion de la communauté scolaire (« la minute de la principale »)
Dans un contexte de crise, les relatons avec la presse sont essentielles, il faut connaître ses interlocuteurs, savoir comment ils travaillent et s’ils seront a priori bienveillants vis-à-vis de l’établissement, ce qui est loin d’être acquis. Selon la problématique, l’inspection académique ou le rectorat préféreront « prendre la main » pour protéger l’EPLE et éviter au chef d’établissement d’être piégé par des journalistes qui jouent la carte de l’émotion et aiment désigner un coupable à l’opinion publique. S’ils ont su entretenir des liens réguliers, les personnels de direction peuvent s’appuyer sur les élus locaux pour relayer les messages rassurants ou fédérateurs. En interne, le chef d’établissement devra « actionner » une cellule de crise - ce qui suppose d’avoir réfléchi à sa composition - et doit, pour une communication ciblée en direction des leaders d’opinion, pouvoir disposer d’un annuaire à jour des coordonnées des représentants des parents et des élèves. La parole de la direction peut être relayée par plusieurs canaux pour combattre fake news ou rumeurs.
Pour conclure
La distinction communication interne et externe des manuels universitaires est peu pertinente. L’image d’un établissement est d’abord produite par les acteurs de l’Ecole : ce sont les personnels et les élèves par leurs propos qui contribuent à construire la réputation de leur propre collège ou lycée. Le fonctionnement démocratique des instances délibératives joue un rôle essentiel, les personnels de direction doivent y consacrer de l’énergie et des trésors de diplomatie.
Hormis les collèges ou les lycées en situation d’excellence ou de relégation très peu EPLE sont, en effet, en mesure de définir leur image sur leur territoire. L’audit interne est une phase incontournable, il doit pouvoir s’appuyer sur des regards croisés. Aujourd’hui, les outils numériques (questionnaires, sondages, …) permettent de gagner un temps précieux pour recueillir et agréger les points de vue individuels. Réaliser un audit interne c’est aussi donner la parole à ceux qui ne l’ont pas souvent (les élèves, les parents, les agents) et la rendre audible aux professeurs ou à l’équipe de vie scolaire. Mais, avant de se lancer dans l’élaboration d’une politique ou d’un plan de communication, il faut créer un cadre pour que chacun s’écoute, accepte de s’engager dans un travail réflexif pour faire évoluer ses pratiques ; cette démarche d’auto-évaluation n’est pas facile à impulser, la Direction devra convaincre et trouver des alliés. La meilleure communication ne permettra pas de passer sous silence les problèmes de fond, il faut se méfier de « la communication politique » qui consiste à dire ce qu’on va faire suscitant des attentes et des espoirs qui, s’ils sont déçus, dégradera durablement l’image de l’établissement.
La fonction de communication des EPLE est appelée à se renforcer, les injonctions institutionnelles sont croissantes et la demande du public est forte dans un contexte de digitalisation de nos modes de vie, de travail et de consommation. Les acteurs des établissements doivent se former et professionnaliser leurs pratiques pour répondre à cette demande sociale. En effet, leur capacité à communiquer avec leur environnement est jugée essentielle aussi bien par les parents d’élèves, les élus locaux ou les partenaires (entreprises, associations, …). Du reste, la communication occupe désormais une place de choix dans l’évaluation professionnelle du chef d’établissement par une hiérarchie, elle-même, de plus en plus investie... dans la communication. Comme le rappelle l’IH2EF : « la communication est un des leviers du pilotage que doit maîtriser le personnel de direction. (…) S’il est vrai qu’une communication adaptée et maîtrisée ne règle pas tous les problèmes, en revanche une communication défaillante peut les aggraver, ou en créer de nouveaux. (…). Le chef d’établissement joue un rôle central qu’il prendra d’autant mieux en charge qu’il aura analysé ses forces et ses faiblesses dans ses domaines ».
Jean-Marc ROBIN, Personnel de direction, Académie de Toulouse
(1) EPLE : établissement public local d'enseignement