Le sociologue François Baluteau (2009) a caractérisé ce qu’il nomme « les régimes d’action des directeurs de l’enseignement secondaire ». Il en identifie trois :
Le régime d’incitation
Il a pour « principe l’adhésion ou le consentement des acteurs ». Le chef d’établissement cherche « une légitimité rationnelle fondée sur la compétence à analyser les problèmes pédagogiques de l’établissement en s’appuyant sur ses connaissances, son expérience, les évaluations de l’établissement, voire son charisme ». Dans ce régime, les personnels de direction encouragent « la circulation des connaissances, des expériences et partagent des lectures professionnelles ». Le chef d’établissement assume « un rôle d’arbitre veillant à l’application des règles décidées ensemble ». Ce régime d’action privilégie l’intelligence collective et le consentement des professeurs. Pour François Baluteau ce régime d’action suppose « une expertise pédagogique ou une rhétorique convaincante » pour conduire le changement avec les enseignants. Ce régime est clairement celui des personnels de direction pédagogues qui cherchent à faire de leur collège ou lycée « un établissement apprenant ». Le développement professionnel collectif est un axe de la politique de gestion des ressources humaines. Le chef d’établissement s’affirme à la fois comme un expert et comme un manager.
Le régime d’imposition
Dans ce régime, « le changement résulte de l’action autoritaire ». Les professeurs sont censés être « résistants au changement », voire « hostiles »; le chef d’établissement « accepte l’affrontement et le rapport de force », il développe « des stratégies de contournement » des obstacles. La négociation fait partie du management, la politique du donnant-donnant est valorisée. Le chef d’établissement n’hésite pas à s’appuyer sur des rémunérations financières ou symboliques pour disposer d’alliés. « Le changement dans l’établissement s’appuyant principalement sur des stratégies de pression (menace, ordre, …) se réalise sans mobilisation véritable faute de loyalisme », dès lors le risque de défection ou de conflit est important. Ce régime d’action très directif est celui du chef d’établissement « patron » qui a une vision très verticale de sa fonction.
Le régime d’accompagnement
Ce régime « correspond à un régime de relation favorisant l’initiative des acteurs. Le changement vient des enseignants qui font des propositions ». Le chef d’établissement fédère les projets, sa valeur ajoutée consiste à mettre en forme et à agir auprès des collectivités ou des partenaires pour trouver les ressources financières nécessaires. Le risque c’est le manque de cohérence et un développement « anarchique de l’établissement. (…) L’établissement correspond tendanciellement à une collection d’initiatives et de réalités pédagogiques, à un ensemble de dispositifs juxtaposés ».
François Baluteau développe une vision pragmatique, il considère que les chefs d’établissement ne sont pas prisonniers d’un seul régime d’action selon les enjeux et les situations de la vie d’un établissement. Il conclut toutefois que « les entretiens montrent des directeurs impliqués à des degrés divers dans chacun de ces modes d’action, dessinant une tendance se maintenir dans un régime, ouvrant vers un style de management ».
Cette approche est stimulante, la congruence avec notre typologie des styles de manager est intéressante à illustrer. En effet, le choix d’un régime d’action par le chef d’établissement s’appuie sur une conception implicite de son rôle (plus ou moins directif, plus ou moins participatif) mais aussi sur sa représentation des enseignants et sur le degré de confiance. Le choix est aussi tributaire – comme le note François Baluteau – des ressources personnelles du chef d’établissement (capacité à fédérer, à enrôler, à expertiser) comme des qualifications des professeurs car on ne dirige pas un lycée composé de la moitié d’agrégés ou de professeurs de classes prépa ou de BTS comme un petit collège dans lequel travaillent beaucoup de jeunes professeurs « toujours sur le départ ». Au final, le chef d’établissement ne peut pas faire l’impasse sur les rapports de pouvoir dans l’établissement, il doit adapter son management aux réalités locales. Du reste, le statut de la fonction publique et la double hiérarchie dont relèvent les professeurs (IPR / Perdir) réduisent ses capacités managériales, le style directif ou autoritaire est voué, dans la durée, à l’échec.
« Les régimes d’action des directeurs d’établissement secondaire », François Baluteau in Carrefours de l’éducation, juillet-décembre 2009
Styles de management, régimes d’action et rôle des professeurs
(Extrait de Professeurs et chefs d'établissement, Jean-Marc Robin),
Styles de manager (selon JM. Robin) |
Régime d’action (selon F. Baluteau) |
Leviers du management |
Représentation des professeurs par le chef d’établissement |
Le manager tentaculaire |
Régime d’imposition |
-Rapports de force -Négociation -Rémunération financières ou symboliques |
-Acteur intéressé qui doit être enrôlé. -Résiste naturellement au changement. (défiance) |
Le technocrate |
Régime d’imposition |
-Les textes -Le cadre institutionnel |
-Fonctionnaire qui doit obéir (défiance) |
Le communicant |
Régime d’accompagnement |
-La communication externe -Le charisme du chef d’établissement |
-Professionnel dont la compétence se limite à la classe (confiance)
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Le relationnel |
Régime d’accompagnement |
-La protection des professeurs (approche paternaliste) -L’écoute et la proximité avec les professeurs |
-Professionnel qui a besoin de sécurité pour s’engager -Un expert autonome qui n’a pas besoin de conseils ni de contrôle (confiance) |
Le pédagogue |
Régime d’incitation
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-L’expertise collégiale -L’intelligence collective
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-Praticien réflexif capable de se mobiliser dans la classe et hors la classe -Le professeur est un cadre pédagogue (confiance)
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